Exposition "Moteur !" Novembre 2013  

Cela fait 12 ans que je peins, le temps d’un chemin de peinture sur lequel j’avance pas à pas en tâtonnant, lentement. Je n’ai jamais rien demandé à la peinture. Elle m’a pris la main et je l’ai suivie. Ma main, guidée, trace sur les feuilles blanches et les toiles des formes colorées apparemment anodines. Pourtant, chemin faisant, il est devenu de plus en plus évident que ces formes ne sont pas aussi anodines qu’elles semblent.

Le résultat obtenu sur le tableau, s’il me paraît étrange dans un premier temps, prend peu à peu signification. Je dois prendre le temps de regarder chaque œuvre, de la laisser me parler, pour cela faire le vide et laisser monter des impressions, des sensations, me laisser flotter avec elle, lui donner le temps de faire son chemin à travers mes neurones. Je dois la regarder, non comme ma peinture, mais comme une peinture venue d’ailleurs. Que me dit-elle ? Que m’évoque-t-elle ? La rencontre avec cette peinture a quelque chose de mystérieux.

 Je peux passer des heures et des jours à la contempler. Parfois il ne se passe pas grand-chose. Souvent de multiples évocations se présentent qui m’intriguent et viennent me questionner. De temps en temps une surprise joyeuse me fait éclater de rire devant une évidence soudain trop visible, ou un serrement au cœur me saisit devant une proposition désagréable qui vient de surgir. Ou bien tout reste obscur. La révélation ne viendra que plus tard et peut-être jamais complètement.

 Bien souvent c’est le regard des autres qui m’ouvre les yeux et me donne à voir ce que j’ai peint. Des paroles sont prononcées qui résonnent en moi, réveillent des espaces intérieurs que je sais exister sans savoir les nommer. Ces mots deviennent révélateurs comme, autrefois, apparaissaient peu à peu les photos lorsqu’on les plongeait dans le liquide révélateur, d’abord floues puis de plus en plus précises. Ensemble, vous, spectateur, et moi, peintre, avons fait vivre une peinture. Nous lui avons permis de jouer son rôle de trublion.

Et puis, œuvre après œuvre, un chemin se dessine. Des premières œuvres abstraites, chaotiques, morcelées ont émergé, comme des apparitions fantomatiques, des formes vivantes, des êtres étranges mais évocateurs. Puis une forme symbolique les a tous rassemblés. Elle est devenue objet d’étude comme si elle avait un secret à délivrer. Aujourd’hui le visage de cette forme apparaît. Le chaos initial de mes tableaux prend peu à peu forme.

La peinture est le miroir de notre monde. Elle pose devant nos yeux des images qui nous interrogent, des images que nous n’attendons pas, des images qui nous poussent à investiguer toujours plus notre façon d’être au monde.

Comme peintre, je suis passeuse de ces images. Je les livre pour établir un dialogue avec vous et poursuivre ce chemin de questionnement du monde.

 Moteur ! Que la peinture, comme la caméra sur un plateau de tournage, enregistre, œuvre après œuvre, les scènes de notre chemin de vie.