Le lien de subordination exploré avec la peinture
J'utilise la peinture comme outil pédagogique pour élaborer de nouvelles positions ou directions d'action sur un sujet donné, une thématique, une question, un problème. La démarche consisteà alterner des temps de réflexion et des temps de peinture, chacun des temps utilisant les apports de l'autre pour approfondir progressivement la notion explorée.
Ici le thème retenu est le lien de subordination.
Le lien de subordination est la relation qui est stipulée contractuellement par la loi entre un salarié et un employeur.
D'entrée de jeu est donc posé un élément basique du fonctionnement de l'entreprise : moyennant un salaire, l'employé se met au service de l'employeur sous sa direction et sa subordination.
- Qu'induit ce concept de base sur le fonctionnement d'une entreprise ?
- De quelles façons peut être vécu ce lien ?
- Existe-t-il d'autres liens possibles ?
- In fine quel type de relation ai-je besoin de mettre en place dans le contexte de mon entreprise ?
En prenant sa posture d'artiste, à partir de son propre vécu en entreprise, le peintre a élaboré des œuvres qui représentent sa vision du lien de subordination.
Ce travail lui a permis de faire cheminer sa pensée sur le sujet de façon créative. Ce cheminement est décrit ci-après.
Le visiteur peut, lui aussi, en devenant spectateur, suivre son propre trajet d'élaboration d'un point de vue sur le lien de subordination.
Le lien de subordination
J'ai débuté par un temps de réflexion. C'est quoi pour moi un lien de subordination ? La première sensation qui a émergé face à ces deux mots, lien et subordination, a été la soumission. L'image associée qui est apparue est un tableau couvert de façon majoritaire d'une zone noire sous laquelle se trouve une bande rouge.
J'ai peint facilement la zone noire. Lorsque j'ai abordé la zone rouge j'ai immédiatement été frappée par la difficulté à réaliser proprement la jonction avec la zone noire. J'ai du y porter attention et de la couleur rouge s'est mise à déborder sur le noir. Finir la zone rouge a été aussi facile que la zone noire.
Tableau 1
Une fois peint, j'ai regardé le tableau. Je voyais un déséquilibre entre les deux zones. Le noir pesait sur le rouge. Ca me manifestait que dans la subordination l'un est dominant, l'autre écrasé. Si attentif que soit le dirigeant au subordonné, il n'en reste pas moins que celui-ci n'a pas de réelle autonomie. Il peut user d'un pouvoir d'influence mais il sait que le mot final reviendra au dirigeant. Celui-ci possède un pouvoir que le subordonné n'a pas.
Ce qui m'avait le plus marqué en peignant était ma facilité à peindre la zone noire ou la zone rouge et ma difficulté à gérer l'espace de rencontre entre les deux. C'était donc là qu'il y avait quelque chose à regarder. Comment les deux zones se touchaient-elles ? Que se passait-il dans cette région du frottement ?
Dans ce premier tableau les bords étaient nets, il n'y avait pas véritablement de contact. Les deux zones ne se parlaient pas. Les blocs se faisaient face.
J'ai repris mes pinceaux et j'ai réalisé un deuxième tableau comportant plusieurs bandes noires et rouges, peintes rapidement, pour voir ce qui se jouait à leur jonction.
Les premières bandes se sont interpénétrées spontanément en faisant apparaître différentes formes de chevauchements comme des possibilités différentes de rentrer en contact, plus douces ou plus hardies, plus discrètes ou plus voyantes.
En poursuivant volontairement ces contacts, j'ai cherché à faire des pas dans l'autre domaine, à provoquer le dialogue avec l'autre, ces pas noirs en bas dans la zone rouge par exemple.
Tableau 2
Puis j'ai pris une nouvelle feuille en cherchant à pousser plus avant mes investigations d'une zone dans l'autre. Un mélange de plus en plus important des deux couleurs s'est produit. La rencontre devenait même mouvementée au point que la distinction des zones tendait à disparaître. Il y avait du noir et du rouge partout. J'ai ressenti alors une forme de monotonie bicolore du tableau et j'ai éprouvé le besoin pictural d'une troisième couleur pour briser cette uniformité. J'ai pris du blanc. Il s'est placé d'abord plutôt dans la zone intermédiaire entre les deux couleurs pré existantes, bien que cette limite ne soit plus trop visible, et finalement il s'est étalé un peu partout en s'imprégnant plus de rouge d'un coté et plus de noir de l'autre coté.
A ce moment, le tableau a retrouvé un nouvel équilibre.
Tableau 3
Je me suis arrêtée de peindre.
Le contact entre les deux zones me paraissait difficile. J'avais le sentiment de me débattre avec ce lien de subordination, de chercher des moyens de communiquer sans vraiment y arriver, peut-être même de chercher à lui échapper mais au fond sans pouvoir m'en détacher.
Le subordonné est dans une relation de dépendance. Il peut choisir à qui se lier, chercher à repérer les dirigeants les plus ouverts. Il n'en reste pas moins que le lien de dépendance subsiste. Son seul pouvoir est de rompre le lien.
Dans l'essai de dialogue, devenu apparemment confrontation, les deux zones avaient perdu leur capacité de différentiation. Une confusion s'était installée.
Je me suis demandée s'il était possible de vivre pleinement sa spécificité dans un lien de subordination ? Ca paraissait difficile.
Le déséquilibre du lien de subordination semblait engendrer la soumission, le conflit, la confusion. Du coup, égalité, entente, différentiation ne semblait pas s'accorder avec le lien de subordination.
L'introduction du blanc dans le tableau, élément tiers, semblait rendre possible un accord satisfaisant pour les deux entités en lien. Il semblait compenser le déséquilibre et rétablir une harmonie, celle du tableau et celle du lien, donc. Ce blanc était un liant entre les deux couleurs, entre le dirigeant et le subordonné. Il semblait être le facilitateur de la communication, l'élément médiateur harmonisant entre le dirigeant et le subordonné.
En résumé à ce stade, j'avais perçu le lien de subordination comme déséquilibré, j'avais vu naître sous mon pinceau un affrontement et l'introduction d'un tiers semblait permettre un rééquilibrage.
Pourquoi la présence d'un tiers se révélait-elle nécessaire ?
De quoi était fait ce lien ?
Je réalisais que je n'avais jamais donné une forme concrète au lien de subordination. Il était resté sous-entendu et seulement perceptible par ses manifestations. Comment le rendre visible ?
S'il y avait lien, il y avait deux entités en lien. J'ai décidé de représenter les deux entités et ce qui les liait.
Ce qui m'est venu ce sont deux patatoides, verte et bleue, liées par une ficelle rouge.
Tableau 4
Effectivement cette ficelle manifestait la dépendance entre les deux entités. On pouvait supposer que le plus lourd, le plus gros entraînerait l'autre.
Ce qui me marquait était l'évolution d'une image plutôt symbolique à une image plus expressive qui montrait les éléments constituants du lien. Maintenant il y avait manifestation d'une individualisation alors que, dans mes premiers tableaux, le lien manifesté évoquait plutôt une lien fusionnel. Les zones étaient accolées et leur relation difficile à définir.
Dans la première série de tableaux les deux zones liées par le lien de subordination étaient collées. La proximité des entités liées m'a fait penser à un lien fusionnel. Le besoin d'un tiers s'était manifesté pour que la relation puisse se vivre. N'était-ce pas la même chose entre la mére et l'enfant à la naissance, le père venant permettre la séparation.
Dans la deuxième série, démarrée avec les patatoides, une individualisation s'était manifestée. Les deux entités étaient séparées et différentes. Toutefois, elles restaient liées par un lien de dépendance. N'était-ce pas la situation de l'enfance puis de l'adolescence ?
Le lien de subordination serait-il un maintien à l'état d'enfant ?
Est-ce que je pourrais manifester en peinture un lien qui ne serait plus de subordination ?
Pour aller au plus simple et me rapprocher de mon idée de départ, j'ai peins deux zones de taille égale, occupant chacune la moitié du tableau et de couleurs différentes, vert pâle et orangée pâle.
Puis, pour manifester concrètement le lien, j'ai rajouté sur ces deux zones des carrés de taille égale et de couleurs inversées par rapport au fond, reliés par un trait.
Tableau 5
J'ai regardé le résultat.
Les deux zones de fond et les deux carrés étaient de taille égale. Il y avait équilibre.
Le lien n'était plus tortueux, il était droit. Le passage de l'un à l'autre était direct et rapide.
L'inversion des couleurs permettait de penser que chacun était à l'écoute de la spécificité de l'autre et qu'il baignait dans une connaissance informelle ou élaborée de l'autre.
Le carré me paraissait un élément stable, équilibré. Il devait représenter dans mon esprit l'état adulte, la maturité alors que la patatoide était une forme indéfinie, non encore déterminée. Ce nouveau lien nécessiterait-il de la maturité pour pouvoir exister ?
Le passage à travers mes peintures du fusionnel, au différencié puis maintenant au mature m'a évoqué la relation parent/enfant. L'enfant est d'abord en relation fusionnelle avec sa mère puis il s'individualise, tout en restant dans une situation de dépendance, puis il devient autonome à l'état adulte et peut vivre des relations d'inter-dépendance.
Comment qualifier ce nouveau lien que je venais de peindre ? C'était une relation où chacun, à égalité, jouait son rôle, en fonction de ce qu'il était, sans chercher à dominer l'autre mais plutôt à avancer avec l'autre. Est-ce que ce serait une alliance ? En tout cas je retrouvais le mot liant apparu pour qualifier le tiers blanc c'est à dire que cette nouvelle relation inclurait ce facteur liant dans ses fondements.
Du lien de subordination j'étais passée à l'alliance, engagement mutuel de partenaires égaux.
Je me suis aperçu alors avec étonnement que mes couleurs étaient passées du noir et rouge, associés à la violence du lien de subordination, au vert et bleu moins agressifs, associés à la dépendance, puis au vert pâle et orangée plus doux et nuancés, associés à l'alliance.
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